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La petite mort des humanités

10 mars 2015

Mardi 10 Mars 2015

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Au départ il y a ces étranges litanies répétées par les grands et qui résonnent comme un mystère dans les couloirs du collège : rosa rosa rosam…

Et puis, entr’aperçus sur le tableau noir avant d’être effacés par un autre professeur, ce qui ressemble à des mots mais d’un alphabet inconnu et néanmoins familier.

Et puis, la première année, comme un dévoilement progressif, le sentiment de découvrir sa propre langue, d’en éclairer un à un les mystères à l’aide d’une petite lanterne magique, allumée et enfouie pour toujours au fond de soi. Et puis, au fil des années, l’étourdissement d’entrer dans un monde immense, autour d’une mer berçant trois continents et dont les millénaires donnent un fragile aperçu de ce qu’est l’éternité. Dans les grandes classes enfin, l’exaltation de découvrir que la science, la philosophie, la littérature et les arts ne cessent de puiser avec émerveillement dans ce lointain trésor que sont les humanités, notre bien commun.

Et puis il y a eu cette vocation, cet appel à transmettre à son tour, à rendre ce qui a été donné et à perpétuer cette tradition, d’ouvrir au plus grand nombre ces portes inutiles et nécessaires : le grec et le latin. Et la joie de découvrir que tous, d’où qu’ils viennent, ne demandent qu’à les ouvrir, pourvu qu’on le leur permette.

Et puis la suppression brutale en 2001 des heures de langues anciennes jusque-là abondées aux dotations des établissements : il fallait désormais les prendre à d’autres disciplines. Le relèvement des effectifs minimum. Les seuils de dotation des établissements arbitrairement fixés dans certaines académies. Les regroupements d’élèves, les cours de plus en plus tard, la multiplication des multi-niveaux, les horaires officiels non respectés. La concurrence d’enseignements éphémères avec la réforme du lycée. Et puis la raréfaction des postes mis au concours depuis 2000, de plus en plus de postes non pourvus chaque année et des professeurs non remplacés. La réforme dégradante du Capes de lettres classiques et la démission fracassante de son jury en 2010. L’incorporation, sans tambour ni trompette, du Capes de lettres classiques dans celui de lettres modernes en 2013, et le latin ou le grec ancien désormais réduits à une simple option. La disparition de la licence spécifique de lettres classiques à l’université, incorporée dans un cursus de lettres en 2014. Le Cned renonçant à la préparation de l’agrégation de lettres classiques. Le tarissement inéluctable du nombre de candidats et de reçus (au Capes un tiers des postes pourvus en 2014).

Enfin, peut-être le dernier coup de poignard porté à l'enseignement des humanités – par un gouvernement de gauche : à l’occasion de la réforme du collège, présentée aux journalistes de l’éducation lundi 9 mars 2015 (et bientôt rendue publique), il se murmure qu’une initiation aux langues anciennes en 5e, 4e et 3e serait désormais intégrée aux programmes de français dès la rentrée 2016. Ce serait cohérent avec le projet d’avancer l’enseignement de la deuxième langue vivante en 5e, dans la perspective de la création d’un nouveau cycle après la 6e. Mais une telle réforme permettrait surtout, face à la pénurie criante de professeurs de lettres classiques, de déléguer cette « initiation » à des professeurs de lettres modernes.

Alors, face à cette volonté sourde de faire disparaître lentement – dans l'indifférence universelle – à l’enseignement séculaire des humanités, selon une logique administrative, comptable, utilitariste et à vrai dire désespérante de l’éducation, comment ne pas perdre courage ?

Sans doute en puisant la force de résister dans le nombre toujours impressionnant, malgré tous les obstacles et en dépit de tous les pronostics, de ces élèves aux yeux qui brillent lorsqu’ils découvrent un monde qui est tout simplement le leur.

Quant à tous ceux et celles qui ont pu bénéficier de l’enseignement des langues anciennes à l’école et qui souhaitent que les jeunes générations à venir puissent en bénéficier à leur tour, il est temps qu’ils se manifestent, haut et fort.

Car soyons lucides : bientôt il sera trop tard.


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